Communication dans le cadre de la journée d’étude « Jeux et détournement », Université de Strasbourg [en ligne], 20 novembre 2020.
Envisagé à partir des travaux de Guy Debord (Debord et Wolman, 2006), le concept de détournement désigne souvent des formes artistiques qui récupèrent et retravaillent des œuvres existantes. Cependant, comme le souligne Fanny Barnabé (2017), les matérialisations protéiformes ont pour souche commune “les idées de reprise et de transformation”. En ce sens, l’objet du détournement ne se limite pas aux différents matériaux artistiques mais peut porter sur les pratiques et les postures. S’inscrivant à la suite des travaux de Gabrielle Trépanier-Jobin (2016) et de Esteban Giner (2019) sur les degrés de pédagogie, de persuasion et d’expressivité dans les jeux vidéo, cette communication se propose d’envisager, au sein d’un processus de création, l’appropriation et la reconfiguration de modalités de jeu différentes : le jeu sérieux, le jeu artistique, le jeu expressif. Il s’agit alors de présenter les expérimentations d’une recherche-création menée sur le jeu vidéo RecovR, développé par le studio indépendant The Seed Crew.
S’intéressant aux problématiques psycho-sociales telles que le sexisme et destiné aux entreprises, le projet récupère d’abord des fonctionnements associés aux jeux sérieux tout en questionnant les limites de ce concept. En effet, bien que le Serious Game peut être envisagé comme un détournement de l’activité ludique, la catégorie s’est sédimentée dans le discours social depuis 2002 (Djaouti et alii, 2011) et le genre médiatique, identifié par la présence d’un “scénario utilitaire” (Alvarez et Djaouti, 2012), n’est aujourd’hui plus nouveau au sein de la culture vidéoludique. Cependant, les principes sur lesquels il repose, l’évaluation des connaissances et la transférabilité des savoirs, peuvent être remis en question (Berry, 2011), en particulier lorsqu’elles concernent des situations sociales complexes.
À la frontière des Serious Game, le projet emprunte aussi des formes d’engagement ludique liées aux Art Games, qui sont définis par Phillipa Jane Stalker (2005) en fonction de leur capacité à défier des idées établies et à penser des phénomènes sociaux et par Sharp (2015) par leurs qualités réflexives et éclairantes (Sharp, 2015). Tout en recyclant ces éléments, la recherche-création interroge la pertinence du concept dont le succès s’explique par le contexte culturel, notamment des changements de la production, la distribution et la réception ainsi qu’un “espace opportun” au sein des jeux indépendants (Parker, 2013).
Finalement, les caractéristiques des jeux expressifs, à savoir l’exploration de “problèmes psychologiques, sociaux et culturels” à partir de la perspective d’un individu, la confrontation à des “dilemmes et choix de vie” et la possibilité d’expression du joueur sur ces sujets (Genvo, 2012 ; Genvo, 2019a) font l’objet d’une appropriation et d’un questionnement dans le processus de recherche-création. Puisque les jeux expressifs ont pour vocation de proposer une “moralité non-moralisante” et de “questionner le réel” sans imposer de point de vue ou apporter de réponse (Genvo, 2019b), il est possible de s’interroger sur son efficacité dans le cadre de problématiques comme le sexisme.
Pour conclure, l’explicitation de la manière dont a été construit le cadre théorique laisse apparaître le processus de recherches pour la création comme un détournement.